Primaire de la gauche: le bilan

Primaire de la gauche: le bilan

Après une campagne éclair et omniprésente, la primaire socialiste a connu des hauts et des bas, entre les résultats décevants du premier tour et un ultime face à face télévisé de qualité. Avant de dresser le bilan, un tour d’horizon s’impose.

Crédit photo: jdd.fr

1) Participation décevante au premier tour

 Le soir des résultats, la direction du PS tente de gonfler les estimations de la participation pour faire valoir le succès de cette primaire, se targuant de près de deux millions d’électeurs.

Les candidats sont les premières victimes de ces approximations, se discréditant tour à tour en se félicitant d’une participation importante. Des résultats démentis le lendemain par le PS lui-même. Il annonce finalement un total de 1,6 million de bulletins seulement, après avoir été pris la main dans le sac à publier par trois fois des résultats manipulés (1). En admettant que ce chiffre final soit exact, il se rapproche plus du million et demi que des deux millions avancés la veille.

 Donc, malgré trois débats télévisés, des émissions en prime time consacrées aux principaux candidats et une présence permanente sur les matinales radios, la participation déçoit. Difficile, dans ces conditions, de croire à la naissance d’une quelconque dynamique qui permettrait de propulser la candidature du vainqueur.

2) Valls et la ligne libérale sont désavoués

Valls se fait voler la première place par Benoit Hamon ; Peillon ne perce pas et Pinel récolte seulement trente mille voix (2%). L’arithmétique est impitoyable. À moins d’un grand bouleversement, Valls sera battu au second tour.

La faible participation lui ôte son principal atout, à savoir sa posture « présidentiable ». Difficile, en effet, d’imaginer un engouement populaire providentiel entre les deux tours. À l’inverse, son attitude agressive adoptée dès l’annonce des résultats divise jusqu’à ses propres amis.

 Pendant ce temps, Hamon engrange les soutiens et fait preuve de mesure et de respect dans les commentaires. 

En réalité, la seule chance de salut pour Valls réside dans une plus faible participation au second tour. Une hypothèse qui nuirait ironiquement à sa crédibilité en vue de l’élection présidentielle.

3) Hamon réussit son pari

Sans surprise, le plus à gauche des candidats remporte le premier tour de cette primaire socialiste. Plus que le revenu universel, se sont bien ses prises de position aux antipodes de Valls qui lui permettent de créer une pseudo surprise. Sa performance solide au second débat et ses nombreux soutiens devraient lui assurer la victoire dimanche prochain. Reste à savoir ce qu’il en fera.

 Un ralliement à Mélenchon, moyennant quelques concessions programmatiques de ce dernier, sur le revenu universel par exemple, serait tout à l’honneur de Benoit Hamon. Mais si la participation au second tour augmente et qu’il l’emporte dans un plébiscite, il risque de se sentir pousser des ailes. Ce qui ôterait automatiquement tout espoir à la gauche de figurer au second tour.

 En effet, bien que les électeurs ne s’additionnent pas aussi facilement que les tomates, une candidature unique avec Jadot et Mélenchon détiendrait des chances très sérieuses de remporter la présidentielle (1). Or, les convergences sont nombreuses. Sur l’écologie, la réforme fiscale, la politique de soutien aux salaires, l’investissement, la remise en cause de l’austérité, la défense de la sécurité sociale, et des sujets plus marginaux comme la légalisation du cannabis. Seuls points de divergences majeures : la renégociation des traités européens et la position face à la Russie.

 4) Un dernier débat qui sauve les primaires ?

 Le respect mutuel, le format, les punch lines et surtout la qualité des échanges auront permis de redorer quelque peu le blason terni d’un PS placé depuis des mois sous respiration artificielle. Reste à savoir si ça suffira pour fédérer un électorat peu mobilisé.

Avant de conclure, voici les points essentiels à retenir de ce débat.

  • Des échanges clairs qui auront permis aux deux candidats d’exposer leurs principaux désaccords, avec calme et éloquence. On note, entre autres, une posture plus écologique chez Hamon, et moins identitaire. Il fustige avec justesse les risques de stigmatisation des populations musulmanes. Valls se défend d’une ligne plus dure, sous couvert de protection des droits de la femme. Il oppose au revenu universel sa valeur travail, l’importance de la compétitivité et le sérieux budgétaire. Hamon réplique qu’il faut arrêter de regarder uniquement ce que les mesures coutent, mais aussi ce qu’elles rapportent « sinon on arrête tout investissement ».
  • Sans surprise, la politique économique divise. Hamon revendique la fin de l’austérité, citant les recommandations du FMI et de l’OCDE. Valls lui oppose la nécessité de la lutte contre les déficits, avec le soutien partisan des journalistes (sic).
  • Pas moins de seize minutes sont consacrées à la laïcité, aucune à la sécurité sociale.
  • L’Europe, bien qu’évoquée par moment, n’aura pas fait l’objet d’un segment distinct. Les conséquences des traités, notamment en termes de politique économique et de normes sanitaires, auront été dénoncées à plusieurs reprises, sans mentionner pour autant la question fondamentale de l’Union Européenne.
  • Lors de sa « carte blanche », Valls se livre à un plaidoyer particulièrement intéressant et positif sur la thématique de l’intégration de l’Afrique. Hamon choisit de traiter de la culture. Des initiatives qui font honneur aux candidats.
  • La question du revenu universel est réduite essentiellement à l’un de ses innombrables avantages : répondre à l’automatisation par le partage du temps de travail.
  • Les deux adversaires ont évité d’avoir recours aux « armes de destruction massive ». Hamon n’aura pas osé moquer les belles paroles de Valls en lui renvoyant son bilan à la figure, et Valls ne l’aura pas mis face à son hypocrisie sur la loi travail (3). Les apparences sont sauves.

Terminons par un point particulier qui mérite d’être développé ici : la prise de position des journalistes, qui sont parvenus à imposer une fois de plus des thématiques néolibérales comme vérités absolues. À savoir, les idées  absurdes suivant lesquelles la France serait championne du monde des prélèvements, et qu’il existerait un « ras-le-bol fiscal ».

Les journalistes citent de nouveau le chiffre magique des 54% du PIB recouvrés par l’État. C’est bien entendu une ineptie, puisque la moitié de ces prélèvements sont des cotisations immédiatement redistribuées, soit sous forme de retraites (300 milliards), soit sous forme de soins (200 milliards). Autant d’argent qui génère ensuite du PIB via la consommation, et donc des profits. Le reste constitue le budget de l’État. Vouloir réduire ces « dépenses publiques » de façon dogmatique est d’autant plus inopportun qu’elles seraient alors remplacées par des dépenses privées. Par exemple, aux Pays-Bas, une partie de la retraite et de l’assurance maladie est privatisée et se retrouve à la charge des individus (environ 10% du salaire mensuel part ainsi dans des caisses privées (4)). Aux États-Unis, un bac +5 coûte entre cinquante et deux cent mille euros, tandis que les dépenses de santé représentent près de 50% de plus de points de PIB (5).

De là même façon, le prétendu ras-le-bol fiscal est un non-sens. Seuls 45% des ménages payent l’impôt sur le revenu et les classes supérieures (1%) bénéficient d’un taux d’imposition global inférieur à la moyenne des Français (6). Le soi-disant ras-le-bol fiscal concerne surtout celui des classes moyennes supérieures, soit une minorité des Français. Quant au ras-le-bol de la fraude fiscale, il est curieusement passé sous silence.

Cette double rhétorique n’a aucun sens, à par enfermer le débat démocratique dans un cadre libéral. Le fait que les candidats du parti socialiste ne la remettent aucunement en cause en est d’autant plus inquiétant.

Conclusion :

À travers cette campagne et ce dernier débat, Benoit Hamon est parvenu à redonner vie à de nombreuses idées de gauche, ce qui devrait enchanter les électeurs du PS et lui garantir l’investiture. Mais pour en faire quoi, la question reste entière.

La gauche française dans son ensemble devra dépasser ses points de désaccord si elle souhaite s’éviter un second tour Fillon-Le Pen où Macron-Le Pen.

PS : si vous hésitez à voter au second tour, cet article reste d’actualité. Les couacs concernant la participation n’aideront pas la cause du vote de soutien, les candidats eux n’ont pas changé.

Notes et références:

(1) Lire par exemple l’article de Libération

(2) L’addition des intentions de vote des derniers sondages (20 janvier) donnerait 23.5% à l’alliance Hamon/Mélenchon/Jadot, ce qui les placerait dans les marges d’erreur pour la première place au premier tour !

(3)  Benoit Hamon avait l’opportunité de renverser le gouvernement Hollande avec les frondeurs en votant la motion de censure suite à l’utilisation du 49-3 et s’y est refusé.

(4) Pour avoir vécu dans ces deux pays plusieurs années, nous pouvons en témoigner (et multiplier les exemples).

(5) En 2014, la dépense de santé des USA s’élève à 17% du PIB, contre 11% en France. http://data.worldbank.org/indicator/

(6) http://www.revolution-fiscale.fr/le-systeme-actuel/des-impots-progressifs-/11-un-systeme-fiscal-faiblement-progressifou-franchement-regressif-


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