2017: vers une élection présidentielle Historique

2017: vers une élection présidentielle Historique

La victoire aux primaires de François Fillon et l’abandon de Mr Hollande marquent le début d’une campagne présidentielle qui s’annonce plus que jamais Historique.

Premièrement, personne ne semble désormais remettre en cause la qualification au second tour de Marine Le Pen. De nombreux observateurs vont jusqu’à juger sa victoire tout à fait possible (1). L’acceptation pure et simple de la qualification du FN, sans réelle remise en question  ni des causes, ni des conséquences, trahit une certaine abdication devant la montée de l’extrême droite et de ses idées.

Face à la candidate du parti xénophobe, François Fillon apparaît comme l’alternative la plus crédible. Or, jamais candidat aussi « libéral » et déterminé à remettre en question le modèle social français aussi ouvertement ne s’était présenté à une élection présidentielle.

L’intuition voudrait que devant cette vague d’extrême droite et de droite « dure », le président de la République se dresse en défenseur du modèle social, de la classe ouvrière et des valeurs dites « progressistes ». Mais son taux d’impopularité, lui aussi qualifiable d’historique, l’a contraint à jeter l’éponge. À en croire les sondages, quel que soit son remplaçant, ce dernier arrivera au mieux troisième et plus certainement derrière Mélenchon et Macron.

La gauche jouit pourtant d’une configuration rêvée pour l’emporter. Elle bénéficie d’adversaires clairement opposés à ses valeurs (xénophobe pour l’un, ultra libéral pour l’autre, tous deux conservateurs). Les avertissements exprimés par le Brexit et la victoire de Trump, les signaux positifs de baisse du chômage et l’absence de candidature du président sortant constituent autant d’atouts potentiels.  Malgré tout, la gauche au sens large semble condamnée à voter Fillon au second tour pour faire barrage au FN.

Pour comprendre cet apparent paradoxe, il faut examiner en détail les causes qui ont propulsé Fillon au rang d’archifavori et mis Hollande hors course.

 

1)  La victoire de François Fillon

La surprenante ascension de François Fillon a pris tout le monde de court (2), cependant elle semble rétrospectivement logique. Elle confirme tout d’abord le sentiment de besoin de renouveau. Exit Sarkozy.  Elle s’inscrit également dans un mouvement général de défiance vis-à-vis du « système » dans le sens où elle représente la victoire de l’outsider sur les deux grands favoris. Certains argumentent que les sondages ont en réalité propulsé la victoire de Fillon en accompagnant presque artificiellement sa progression dans une sorte de prophétie autoréalisatrice (3). Quoi qu’il en soit, une chose paraît évidente : Juppé s’est trompé de campagne. En se plaçant au centre tout en proposant, à quelques détails technocratiques près, le même programme social et économique que Fillon, il avait peu de chance de convaincre ni les centristes, ni la droite dure. Or, surprise, ce sont bien les électeurs de droite, les vrais, qui se déplacent pour voter à la primaire.

Plébiscité par les chefs d’entreprise pour son programme libéral et par le noyau dur de la manif pour tous pour ses positions conservatrices et traditionnelles,  François Fillon se voit d’un seul coup élevé au rang d’archi favori de la présidentielle, malgré un positionnement néo-libéral difficilement défendable à l’échelle nationale, en théorie du moins.

En réalité, l’ascension des idées de Fillon s’explique assez bien. Depuis cinq ans, la gauche au pouvoir a conduit une politique de centre droit sur pratiquement tous les fronts. Pour survivre, la droite ne pouvait que se démarquer en proposant une alternative plus libérale, plus à droite que le modèle du quinquennat de Sarkozy. Suivant cette logique, tous les candidats à la primaire se sont positionnés très à droite, et le plus libéral et conservateur d’entre eux a remporté l’élection.. En ce sens, la victoire de Fillon apparaît comme la conséquence logique de la politique menée par François Hollande.

 

2)   La défaite de François Hollande

Le renoncement du président sortant à se représenter sera probablement la décision la plus commentée de son quinquennat. Mais avait-il le choix ? En 2012, Hollande avait mené une campagne axée sur le rejet de Sarkozy et sa dérive identitaire, la remise en cause des politiques d’austérité, la refonte du système de l’impôt et la lutte contre son seul ennemi, la finance. Sans chercher à dresser ici son bilan complet, on notera tout de même une suite de décisions qui lui auront fait perdre le soutien de son électorat.

Après avoir rapidement  plié aux exigences de Bruxelles, il  applique sans fléchir ses recommandations : austérité budgétaire, réduction des charges sur les entreprises et fluidisation du marché du travail. Ses marges de manœuvre étroites peuvent expliquer ces choix, mais ne justifient pas d’avoir abandonné la réforme de l’impôt « Piketty » porté par le Parti Socialiste, ni la nomination de Manuel Valls à l’intérieur pour  poursuivre avec lui les politiques sécuritaires, et plus dommageable, la rhétorique identitaire de Nicolas Sarkozy. La complicité dans l’écrasement de la gauche grecque par l’Allemagne pour protéger les intérêts de cette fameuse Finance viennent s’ajouter à la gestion catastrophique de la situation au Moyen-Orient. Non content d’avoir tenté de pousser les États-Unis à bombarder dès 2013 l’armée de Bachar en Syrie (action qui aurait vraisemblablement débouché sur la victoire de l’EI dans cette région), il engage la France dans des bombardements massifs en Iraq aux côtés des américains, sans aucun discernement.

Quelques mois plus tard, les attentats de Paris font des centaines de morts et démontrent que peu de moyens avaient été mis à la disposition des forces de l’ordre depuis la tragédie de Charlie Hebdo et de l’hypermarché casher.

Face à cette menace historique, Hollande avait l’opportunité d’adopter une posture d’homme de gauche qui aurait fait école. Au lieu de cela, il paraphrase Georges Bush Junior, déclare la guerre au terrorisme et proclame l’état d’urgence permanent. Ce qui n’a pas empêché de nouveaux attentats aussi meurtriers qu’atroces, ni sa chute dans les sondages, ni à la Russie de  massacrer des milliers de civils en Syrie et de jeter des millions d’immigrants sur les routes. Cerise sur le gâteau, la décision de promouvoir la loi de déchéance de nationalité, imaginée par le front national et reconnu, y compris par le gouvernement, comme symbolique et inutile, achève de diviser son camp et l’oblige à recourir au 49-3 pour faire passer les lois Macron et El Khomri, après avoir au passage jeté dans la rue des millions de Français et dépouillé ces textes d’une partie de leur substance.

Sans parler des réformes faites ou abandonnées, ce qui ressort de ce quinquennat est avant tout une véritable destruction de la gauche en général et du PS en particulier (4). À cela, il faut ajouter la prouesse d’avoir achevé de banaliser les thèmes du FN et de pousser la droite républicaine à se durcir, comme le démontre le triomphe de François Fillon.

Contraint de renoncer à se présenter après la sortie d’un livre malvenu et l’abandon de la plupart de ses soutiens, il laisse l’extrême droite plus forte que jamais, la droite renforcée et la gauche dévastée.

3) Des enjeux sans précédent

Plus qu’une querelle de personne, cette élection risque d’avoir des conséquences historiques sur la politique de la France. Nous aurons l’opportunité dans les mois qui viennent d’examiner les principaux points, mais mentionnons tout de même certains éléments décisifs dès à présent.

Le premier concerne l’avenir de l’Europe. Le Pen et Mélenchon veulent potentiellement en sortir, ou du moins renégocier les traités: soit pour en finir avec Schengen et la coopération européenne,  soit pour en finir avec l’austérité budgétaire et le libre-échange. En fonction du candidat qui gagnera la primaire du PS, le camp de la remise en cause pourrait même s’élargir, ne laissant que Fillon et les candidatures plus ou moins centristes pour défendre le fameux « status quo ». À travers ce débat, on voit également se profiler l’opposition protectionnisme contre néo-libéralisme. Sachant que le premier a devancé le second aussi bien aux États-Unis qu’au Royaume Uni, et que le camp protectionniste est pour l’instant uniquement incarné par les « extrêmes », on réalise l’importance de cette question.

Le second concerne la politique étrangère. Marine Le Pen, financée par la Russie, veut un rapprochement géopolitique avec cette dernière, tout comme François Fillon. Au risque de laisser Poutine annexer de nouveaux territoires européens et de faire éclater l’UE. Les autres candidats se rangent principalement du côté de l’axe américano-allemand, partisan de l’Europe de la défense et d’un bras de fer avec la Russie dont les conséquences militaires pourraient être encore plus catastrophiques qu’un éclatement politique de l’UE. Entre ces deux alternatives, quelques voix comme celle de Mélenchon appellent à une approche plus mesurée.

La troisième concerne le modèle social français, qui n’a objectivement que peu de chance de survivre dans la forme héritée du CNR de 1945. En fonction du candidat qui sortira de la primaire du parti socialiste, il faudra peut-être regarder à la gauche de celui-ci pour trouver un programme ne proposant pas de remettre en question l’existence de l’assurance maladie, de la retraite par redistribution et de l’assurance chômage  comme on l’a connait.

Enfin, on pourra noter l’éducation, qui serait en partie privatisée par Fillon et Le Pen et probablement modifiée par d’autres candidats, le déficit budgétaire qui risque presque systématiquement d’exploser et les institutions de la cinquième république profondément remises en questions par pratiquement tous les candidats.

Il semblerait donc que le résultat, quel qu’il soit, aura des répercussions significatives sur l’avenir du pays.

La clé de l’élection 2017

Partout dans le monde, les « extrêmes » triomphent. Pas ceux de gauche, écrasés en Grèce par la Troika européenne, et aux USA par le système médiatique (Bernie Sanders avait été victime d’une formidable campagne de marginalisation (5)) mais bien ceux de  droite.

Dans ce contexte, la classe ouvrière ou plus généralement la classe des « oubliés de la mondialisation », peu éduquée, vieillissante et rurale semble être le nouveau faiseur de rois. Faisant basculer le Royaume Uni du côté du Brexit, mettant Trump au pouvoir et dans de nombreux pays européens l’extrême droite au gouvernement. Ce sont bien ces électeurs, votant jadis à gauche ou à l’extrême gauche, qui viennent peu à peu renforcer les rangs du front national.

Pourtant, les baisses d’impôts sur les riches et la suppression de la couverture santé promis par Donald Trump, l’augmentation des prix à la consommation et la  fin des aides européennes aux régions défavorisées suite au Brexit  sont autant de conséquences pénalisant directement cette classe sociale.

D’où une question fondamentale : pourquoi autant d’électeurs votent contre leurs propres intérêts ?

La réponse avancée par les éditorialistes américains se résume à deux préjugés: ces électeurs sont racistes, et idiots.

Le premier est facile à démentir: ce sont les mêmes électeurs qui avaient élu Barack Obama, un noir, deux fois de suite à la maison blanche. Dans le cas de la France, ce sont ceux qui avaient permis à l’extrême gauche de totaliser un score de 16,3% au premier tour en 2002.

Le second ne résiste pas non plus à une analyse objective de l’histoire récente.

Aux États-Unis, les gouvernements successifs de droite comme de gauche se sont fait les champions de la mondialisation. Clinton allant jusqu’à vanter les traités commerciaux devant les banquiers de Wall Street (contre de belles sommes d’argent qui plus est). Pour des raisons géostratégiques plus qu’idéologiques, Barack Obama s’est également efforcé de mettre en place deux nouveaux traités de libre-échange au cours de son mandat: un premier avec  l’UE et un second avec l’Asie (à l’exception de la Chine, dans un but d’isolement commercial de cette dernière).

En France, la gauche comme la droite n’a eu de cesse de continuer la construction européenne basée sur une doctrine de libre échange et de mise en concurrence de tous les secteurs de l’économie. Le refus de reconnaître la victoire du non au référendum de 2005 et la poursuite des politiques d’austérité depuis 2010 (contre les recommandations du FMI) aura achevé de décrédibiliser l’offre politique classique. Pour exprimer leur mécontentement, car ce mécontentement ne peut que chercher à s’exprimer, les électeurs ne possèdent que deux options.

La première est celle offerte par « l’extrême gauche ». Incarnée aux États-Unis par Bernie Sanders, en Europe par Podémos, Syriza et en France par Mélenchon et les communistes. Dans chaque cas, le fameux « système » semble s’être érigé en défenseur de l’ordre établi, contribuant à décrédibiliser et marginaliser l’option « de gauche ». C’est particulièrement vérifiable dans le cas de Bernie Sanders et de Syriza. Mais il suffit de revoir l’interview au 20h de TF1 de Jean Luc Mélenchon daté du 2 décembre pour se rendre compte du travail de sape effectué par le système médiatique (le journaliste ouvre l’interview en demandant à Mélenchon s’il a copié son programme sur celui de Marine Le Pen, avant de chercher à le mettre systématiquement en difficulté, forçant ce dernier à reprendre les propos inexact du journaliste).

Avec la solution de gauche marginalisée, il ne reste plus à l’électeur en colère qu’à voter pour le seul parti soi-disant alternatif, l’extrême droite.

La campagne devrait donc se cristalliser autour de deux axes: la bataille pour les électeurs « laissés pour compte » et la justification médiatique de ce qui est « crédible » et ce qui ne l’est pas.

La victoire inattendue de Fillon et l’abandon non moins surprenant de François Hollande redistribue un peu les cartes, aussi bien au centre qu’à gauche.

Une chose est sûre, la campagne s’annonce à la hauteur des enjeux: historique.

 

Notes et références:

 

  1. Entre autre, Sylvie Kauffmann, ex-directrice de la rédaction du monde, dans une tribune publiée dans le New York Times, et Nicole Gnesotto, présidente du conseil d’administration de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, professeur, titulaire de la chaire sur l’Union européenne au (CNAM) au micro de “l’esprit public”
  2. En particulier François Hollande, comme en témoignent les extraits du livre “un président ne devrait pas dire ça”.
  3. Alain Garigou, « comment les sondages ont fait gagner Francois Fillon »: http://blog.mondediplo.net/2016-11-24-Comment-les-sondages-ont-fait-gagner-Francois
  4. René Lefebvre, L’autodestruction du Parti socialiste, le monde diplomatique Juillet 2016. http://www.monde-diplomatique.fr/2016/07/LEFEBVRE/55959
  5. En particulier par le Washington Post et le New York Times, deux titres phares de la presse démocrate aux États-Unis. Cf « Tir groupé contre Bernie Sanders » Le Monde diplomatique Décembre 2016.

 

 

 


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